Sauvegarde de l'Histoire de Quissac APSHQ

Les Bugadières

  1. "La bugado y las bugadieros"

(Prononcer « bugade » en provençal le O se prononce E)

 

« Connaissez-vous les lavandières, »

 chantait Jacqueline François

 

à Quissac on aurait pu chanter

« Connaissez-vous les bugadiéres, 

Comme on en voit sur le canal,

Surtout celles de la rivière

De Vidourle et de son chenal»

 

 

Ma grand-mère Maria et ses filles,Marie, Marcelle et  Vincente, comme toutes les Quissacoises vont laver le linge au Vidourle, car Quissac est l'un des rares villages qui n’a pas de lavoir municipal. Il y a bien quelques pompes dans le village, mais le débit n’est pas assez fort pour « la bugado ». Ce qui n’empêche pas quelques dames de venir rincer leur  petit linge, amassés dans des lessiveuses, à ces pompes. 

 

 

Maria Llorca, ses filles Vincente, Marcelle et Marie, et peut-être mon oncle Pierrot dans les bras de Vincente ce qui date la photo de 1925. (photo de Maurice Dardaillon)

 

En cet été de 1925, Maria Llorca et sa famille  habitent, ce qui deviendra le 7 rue du camp neuf, et ou est né mon père Roger en 1920 et certainement mon oncle Pierrot, en 1923. Maria charge son linge sale sur la brouette et direction le Vidourle. Suivant les humeurs du fleuve et au gré des inondations, les courants d’eau et les ilots de gravier évoluent et changent de territoire. La meilleure place pour l’instant est en aval du pont. Il y a deux courants d’eau, un vers l’auberge des Trois Rois et l’autre sur la rive droite, avec une grande plage de gravier au milieu.

 

Il faut aussi prendre les « férats », les « chèvres » en planche qui servent de support, les planche à laver,  les savons de Marseille, les battoirs, les brosses en chiendent, les lessiveuses, etc. Il faut faire plusieurs voyages.

Matériel et ingrédients pour la lessive

(Planche à laver brosse chiendent, cendre de bois tamisée,

 lessiveuse, battoir en bois, savon de Marseille)

 

En arrivant à Vidourle, les meilleures places sont déjà prises. Les lavandières, ou  « bugadiéres »,  se groupent par deux ou à plusieurs pour papoter. Elles ont des grandes corbeilles en osier pour porter le linge. Certaines font déjà sécher du linge sur le muret du pré de griotto ou sur les arbustes, excellent étendoir ! L’une d’elle a une grande capuche blanche pour se protéger du soleil. Sur l’autre rive un tas de sable que l’on vient de tamiser.

Le Vidourle est un lieu privilégié pour les maçons car ils en tirent tous leurs agrégats, sable, gravier, tout venant, et à l’œil car c’est gratuit !

 

Album de Max Fermaud

Photo d’avant 1933 (parapet du pont)

 

En amont du pont d’autres lavandières ont pris place et la grande plage de gravier permet l'étendage des draps, après les avoir bien tordus, tendus, car on ne repasse que le petit linge. On cale les draps à chaque bout avec des galets bien propre, pour éviter les coups de vents.

Certaines dames, comme Madame Ribot lavent pour « le monde », comme on dit ici,  moyennant finance bien sur. Et lorsqu’elles étendent les draps, bien alignés sur cet ilot de gravier, c’est un véritable tableau de blancheur.

 

 

 

 

Mme Ribot et sa petite nièce France (1960)

 

 


Etendage des draps sur le gravier en amont du pont

Photo de 1903

 

 

 

 

Les curieux sur le pont surveillant ces dames

Photo de 1908


Certaines s’installent prés des « Passes » qui leur servent de lavoir, ou sur le canal en dessous du temple et du Café du Pont, ou l’on compte parfois jusqu'à une dizaine de femmes. Et gare à celui qui à ce moment passe sur la chaussée, car il est sur d’etre bien habillé pour l’hiver ! C’est aussi le club ou l’on apprend les nouvelles : « Radio Quissac ».

 

 

 

Les bugadiéres rincent sur « les passes »

Notons déjà la présence de canards et l’énorme  plage de gravier, roulé par les inondations.  Très impressionnant !

 


Les Vieloises, caricaturées par Pépé (Joseph Serrano, oncle de Violetta Perez) ont leur lavoir du canal, au bout de la chaussée ou l’on accède par des escaliers ou par la traverse qui donne accès au Vidourle, derrière les premières maisons de Vièle et qui voit le matin défiler ces dames pour vider les pots de chambres. 

 

 


Il y a également l’abreuvoir, ou la commune a aménagé un véritable site de lavage. C’est d’ailleurs en ce lieu qu’été comme hiver, nous irons nous laver. En été on se savonnera bien et on piquera un « cabus » pour se rincer. En hiver avec un gant sur la figure, ce sera  largement suffisant !

 

 

Mais pour la véritable « bugado », qui se fait deux fois par an pour le linge de maison, le travail commence déjà à « l’estaou ». Maria met les draps dans des grandes lessiveuses et les remplit ensuite avec de l’eau chaude préchauffée dans le « peirrou », pendu dans la crémaillère de la cheminée en hiver, ou sur un feu de bois dans la cour en été. Ma tante Marie a tamisé des cendres de bois très fines pour les mettre dans l’eau. Celles-ci se dissolvent dans l’eau bouillante et fournissent la potasse qui activera le lavage et donnera une couleur d’un blanc éclatant aux draps. Marie, qui est la plus « costaud » charge tout ce linge déjà bouilli, sur la brouette  et direction le Vidourle ou il sera rincé, relavé au savon de Marseille, lacéré par les brosses en chiendent, battu à grand coup de battoir, tordu ensuite pour un efficace essorage. Vincente et Marcelle  tire sur les draps essorés pour les tendre au maximum et  les étendent sur le gravier. En fin de soirée tout ce beau linge sec et bien blanc sera plié et ramené à la maison. Maria le rangera dans une grande armoire en merisier, dont  j’hériterai plus tard, en mettant des bouquets d’aspic (lavande sauvage) qu’elle a cueilli à la Devèze, pour parfumer.

 

Elda Boutonnet


Certaines dames, comme Elsa Boutonnet, épouse d’Emile, lavent le linge à la maison ou devant les quelques pompes installées dans le village, comme celle de la mairie. Il y a aussi, pour les dames du Pont de Garonne, la fontaine ou l’eau de source coule toute l’année.

……

Aujourd’hui, l’eau courante à la maison, les machines à laver, les lessives ont contribué à la disparition des bugadières et blanchisseuses et les « Barbadjous » (martinets)  du Vidourle n’ont plus le plaisir de voltiger et de plonger au dessus de ces femmes en tablier, qui ont usés leurs semelles sur les graviers et leurs mains dans cette eau pendant des siècles.

Le confort de la femme y a certainement énormément gagné, mais elles ont perdu un lieu de rencontre privilégié ou jeunes et vieilles, loin du regard des hommes, refaisaient le monde !

 


« Attentiou ya bugade ! »

 

 

 

Mais le  terme de « bugade »,  est encore employé aujourd’hui, mais dans un sens figuré. Lorsqu’il y a une grande dispute à la maison et qu' on « lave le linge sale en famille! »  les gens disent ya bugade chez les voisins !

 

Souvenirs de Roger Llorca




09/09/2012
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